Les petites News de Nickie Trebor

Les petites News de Nickie Trebor

Nouvelles


André Delpasure sera écrivain

André s'installe à son secrétaire en bois d'acajou. Il branche sa chaîne Hi-Fi et fait tourner le CD de Shubert "Die Forelle".

André est un jeune homme propre sur lui, pas un cheveu qui dépasse, une tenue impeccable. Le fils de monsieur le juge Henri Delpasture a vingt-trois ans. Il affiche une bouille de poupon à la tignasse rousse. Un rien rondelet, il est de taille moyenne, d'une beauté moyenne. André est très dans la moyenne. Son look se résume à un pantalon en chino et un polo, de marque française bien sûr. Il apprécie les chaussures en cuir confortables mais pas trop sport.

 

Il y a deux mois, à la terrasse d'une brasserie branchée de la cité universitaire, il fêtait son master en littérature française avec ses amis de facs. Lors d'un rapide tour de table, ils échangèrent leurs ambitions futures. Laure serait journaliste. Aymeric se voyait pharmacien, il reprendrait la pharmacie de ses parents lors de leur imminent départ à la retraite. Jules, un rien de gauche mais pas trop pensait embrasser le métier de prof de lettres. Isabeau serait l'historienne du groupe. Et, André, lui serait un grand écrivain qui flatterait la fierté de monsieur le juge. Il portèrent un toast à leurs radieux avenirs.

Ses parents, lorsque leur cher fils unique les a informé de son dessin de remplir le rang des écrivains, des saltimbanques en somme, n'ont pas pu s'empêcher de lâcher un petit bruit de surprise. Vous savez, comme lorsqu'on s'étrangle en mangeant. Mais, très vite, ils se maitrisèrent. Henri s'adressa à son cher fils : "Mon chéri, ta mère et moi te souhaitons beaucoup de succès. Toutefois si celui-ci mettait trop de temps à venir, tu pourrais toujours devenir professeur de lettres au Collège Jeanne d'Arc de la ville. Je connais bien le directeur. Il te trouverais sans doute facilement un poste. Il me doit un petit service." Le père ponctua d'un clin d'oeil.

- Merci papa mais je compte bien m'atteler à mon roman dès mon retour de vacances.

 

Le fils Delpasture et cinq potes louèrent une villa avec piscine sur la côte d'Azur. Ils y passèrent deux mois d'été très agréables. Piscine, farniente suivis de sorties au restaurant puis dans les boîtes où il faut absolument se montrer quand on est un jeune homme de bonne famille.

A la fin du mois d'août, les six amis se séparèrent tout en promettant de se revoir bientôt.

 

A son retour, André s'installe dans un charmant petit appartement en ville. Il s'agit de l'appartement que madame Delpasture a hérité au décès de sa mère. Et, en attendant que son métier à naître lui offre les revenus qu'il mérite, le jeune André reçoit une coquette rente mensuelle de la part de ses parents.

Ce lundi vingt-sept août est  le premier jour de sa vie d'écrivain célèbre. Il s'est levé à huit heures et a pris son petit déjeuner. Il s'est douché et habillé. Puis, il se verse  un énorme mug de café avec deux sucres. Il place le CD de Shubert et s'installe à son bureau. Il est pieds nus sur le parquet en chêne. La chaleur du bois est rassurante.

 

André ouvre son tout nouveau carnet afin d'écrire ses premiers jets de littérature. La première page s'étale là devant lui, d'un blanc immaculé. Sa page est blanche mais bientôt elle sera griffonnée des toutes premières phrases de son roman. Il est bourré d'enthousiasme. Il se met à mâchonner nerveusement son crayon tout en regardant cette première page qu'il faut noircir. Mais elle le nargue, sans scrupule, de son angoissante blancheur. Le jeune Delpasture réfléchit. Quelle histoire va-t-il raconter?

Quoi qu'il en soit se sera un roman historique enrobé d'une intrigue amoureuse menant à une fin dramatique.

"Bon, bon. Et maintenant?" André se sent intrigué par cette maudite page blanche. Ce n'est pas ainsi qu'il aura le Goncourt.

 

Aux alentours de onze heures, il ressent une douleur lancinante dans les fesses et décide d'aller se promener un peu dans le quartier. Il revêt son trench bleu marine, chausse ses mocassins marrons et sort de son cocon.

Il erre pendant presqu'un quart d'heure et décide de se diriger vers le parc. Il longe l'étang et croise quelques canards cancanant. Une agréable odeur de nourriture l'attire. Il a faim. Il tourne la tête et aperçoit un marchand ambulant. Il lui achète un hot dog et un soda qu'il déguste sur un banc face à l'étang. Les canards se dandinent avant de glisser dans l'eau. Tout en mangeant, André admire, amusé, leur manège.

Le cerveau et le coeur allégé, l'estomac satisfait, le jeune homme rentre chez lui.

Il s'installe à son beau secrétaire en bois d'acajou, assis sur son siège recouvert d'un velours fleuri, en face de son tout nouveau carnet toujours ouvert à la première page, blanche. Son nouveau crayon est maintenant tout mâchonné et Vivaldi a remplacé Shubert. Mais Vivaldi ne parvient pas a faire danser les neurones d'André plus que Shubert. On ne peut pas vraiment dire que les idées se bousculent au portillon.

Que du contraire! Rien, absolument rien ne vient.

Il passe l'après-midi sur sa chaise ne se levant que pour aller aux toilettes et se servir à boire ou changer de CD.

Le soir venu, il commande une pizza quatre fromages. Après le passage du livreur, il va à la cuisine et mange religieusement sa pizza accompagnée d'un verre de Bardolino.

Aux environs de vingt-et-une heure, Annette, sa mère, lui sonne pour avoir de ses nouvelles. Il lui raconte, tout enjoué qu'il détient son histoire et qu'il a déjà rédigé les vingt premières pages de son roman en ce premier  jour de sa nouvelle vie.

Sa mère le félicite, lui confiant qu'elle a toujours cru en lui, qu'elle n'a aucun doute quant à son futur succès comme auteur de best sellers.

C'est sous cette charmante pression maternelle en réponse à son mensonge qu'André s'installe dans le canapé, devant la télé, un verre de Calvas à la main. La télé diffuse un documentaire à propos de la vie du commandant Cousteau. Il laisse André perplexe. Décidément, les fils de pères connus on bien du mal à leur plaire... Il se couche.

 

Le lendemain matin, après une nuit mouvementée, André avale son petit déjeuner vers huit heures. Il va se doucher, s'habiller, se sert un grand mug de café avec deux sucres et s'installe à son beau secrétaire en acajou en face de son nouveau carnet ouvert à la première page toujours aussi blanche. Il prend son crayon tout mâchonné; "Cette fois ça y est. Je vais enfin écrire quelque chose. Foi de moi."

Après tout pour qu'une page ne soit plus banche, il suffit de la griffonner. Il approche lentement son crayon de la première page de son carnet et tire un trait ici, appuie quatre points ça et là, dessine une courbe dans le bas de la page. Blanche n'est plus. On ne peut plus l'appeler blanche; c'est donc si facile!

André rejoint les points, complète les traits et fait apparaître un dessin. C'est un paysage. Voilà donc le lieu. Trois personnages se trouvent en situation dans ce lieu. Il tient le début de son histoire.

 

André embarque son carnet avec sa première page qui n'est plus blanche, son crayon mâchonné et son smartphone.

Il déambule dans son quartier, admire l'architecture des bâtiments, la complexité des rues qui s'entrecroisent. Il s'assoit sur un banc et tout en regardant son dessin, il raconte un récit à son dictaphone. Le soleil joue joue à créer des ombres qui se déplacent tantôt lentement, tantôt plus rapidement. Dans le doux brouhaha des voitures, des conversations des promeneurs, des jeux des enfants, il s'enregistre, un joli sourire lui illuminant le visage.

Dès son retour, il s'installe à son secrétaire en écoutant Mozart. Et, à l'heure du repas, il a déjà écrit huit pages. 

 

Fier de son avancée, André, l'âme sereine, empoigne son téléphone et invite Laure dans leur restaurant chinois préféré. La jeune fille accepte. Une belle soirée remplie de rires et de petits bonheurs partagés termine cette agréable journée.

Le fils Delpasture est devenu, cette fois c'est certain, un écrivain.


31/03/2022
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Panique à Bruxelles Midi (fiction)

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Il pleut!

Il pleut comme il pleut partout et toujours en Belgique.

Elle aurait tellement aimer naître dans un autre pays au climat plus doux, plus chaud, plus ensoleillé.

 

Ce matin, comme chaque matin, Elisabeth revêt son uniforme composé d'une robe et d'une veste bleu très foncé, le tout relevé d'un foulard rayé bleu roy et bleu foncé. Elle enfile ses bas et ses chaussures assorties au tailleur. Elle attrape manteau, coiffe et sacs et file au travail au volant de sa petite voiture verte.

Par ce temps maussade, elle pense "mais que suis-je donc venue faire dans cette galère?"

Elle a soit trop froid à l'extérieur soit trop chaud à l'intérieur. Mais le plus irritant, c'est l'humidité constante de ses vêtements qui lui grattent la peau, comme si son uniforme voulait lui faire une seconde peau. Non, décidément, ce matin, Elisabeth n'a vraiment pas envie d'aller au turbin.

Enfin! Pas le choix, elle n'est pas née avec une cuillère en argent dans la bouche. Un salaire est nécessaire à sa vie, à sa survie.

 

Un peu moins d'une demi-heure de route plus tard, elle rentre au bureau et prend son service. Quatre collègues sont présents; Sabine, la petite boule de nerf; Adrien, l'intello un peu raseur; Romuald, le charmeur et Alice, la bimbo. Chacun et chacune se prépare pour commencer sa journée après avoir échangé quelques propos sympathiques,... ou pas. Elisabeth n'a cure de tous ces ragots, elle ne les écoute ni ne les sème.

 

Il est cinq heures trente, il fait encore nuit en ce lundi du mois de mars. Elisabeth se rend à son premier train. Elle adresse un signe de la main au conducteur en guise de bonjour et assure le départ.

Elle se dirige vers sa cabine et annonce le détail du voyage dans l'interphone afin de tenir les voyageurs informés. Le train s'élance lentement d'abord puis de plus en plus vite vers Bruxelles; tadam, tadam,... tadam, tadam,...

Il y aura cinq arrêts avant d'atteindre la capitale. Elisabeth passe contrôler les titres de transport que lui tendent mollement les navetteurs entre veille et sommeil. Le contrôle est terminé. Dans dix minutes ils atteindront le terminus. Elisabeth, de la fenêtre de sa cabine, regarde défiler le paysage et attend le bon moment pour annoncer dans l'interphone, l'arrivée imminente dans la dernière station, Bruxelles Midi.

Des étendues de verdures et de champs sont suivies de sites commerciaux et industriels.

 

Voici Bruxelles. Elisabeth descend du train et marche vers l'escalier mécanique, métallique qui la conduit dans le ventre de la gare du midi. Là où elle va enfin pouvoir boire un bon café, manger un croissant et un yaourt aux fruits, prendre un bon petit-déjeuner bien mérité. Elle passe sa commande dans une cafétéria bien connue des employés du chemin de fer puis s'installe seule avec son petit déj. à une table pour deux. Le siège libre lui sert à y déposer ses manteau, sacs et écharpe. Elle occupe l'autre chaise en face de son plateau. Tout en dégustant son croissant trempé dans le café, elle se plonge dans la lecture de "Danse macabre" de Stephen King. Elle aime les thrillers du maître du genre.

Tout à sa lecture, elle ressent une démangeaison dans la nuque. Elle se gratte de la main gauche tandis que la droite continue de s'occuper du petit-déjeuner. Elle ramène sa main gauche vers son livre afin de le garder ouvert à la bonne page, "Aucune émotion ne transparaissait  sur son visage. Il observait le plafond d'un blanc uni comme s'il voyait s'animer des scènes et des images."  Ses yeux descendent le long de la page 178 et s'attardent sur le bout de ses doigts. Elisabeth hésite, elle est médusée, ses dernières phalanges semblent bleues. Elle ressent une douleur vive, ses articulations ne répondent plus. Ses ongles foncent, s'allongent, durcissent.

 

Immédiatement Elisabeth jette son livre dans un sac, attrape son manteau et son écharpe et file aux toilettes. Elle s'enferme dans un des cabinets, elle a chaud, beaucoup trop chaud. Ses vêtements l'étouffent. Elle se déshabille rapidos. Elle regarde ses mains, ses pieds, ses ongles sont maintenant devenus des griffes noires. Son corps est recouvert de poils d'un bleu profond et brillant. Elle peut apercevoir son reflet dans l'inox du porte rouleaux de papier wc. Elisabeth est stupéfaite, elle s'est transformée en une splendide chatte élancée au pelage bleu intense. Au dessus de son petit museau aux longues moustaches noires trônent deux yeux d'un beau vert turquoise. Son regard est transperçant. Soudain, on frappe à la porte: "Z'en avez encore pour longtemps! Hey, dix minutes qu'vous êtes la d'dans. J'dois y aller moi!" Elisabeth répond d'un "Krrsssshhhh" très puissant. Elle ne peut plus parler et crache comme un chat en colère, ses poils se hérissent dans le dos.

"Oh mon dieu, mais qu'est-ce qui m'arrive?" 

Elle abandonne ses effets et s'élance un à un au dessus des cinq cabinets de toilette qui la séparent de la sortie. A toute vitesse, elle traverse l'allée centrale de la gare. Paniqués, les voyageurs, croyant qu'une panthère s'est évadée d'un zoo, courent en tous sens en hurlant. La police du rail est appelée au secours. Il est trop tard, Elisabeth a filé dans le dédale des couloirs. Elle se cache, se terre, observe. Elle a faim, son corps réclame de la chair. Planquée derrière les poubelles dans un couloir exigu et mal éclairé, la chatte Liz scrute l'horizon, le hall de gare. Les passants sont toujours affairés mais calmés. Des policiers du rails accompagnés d'un vétérinaire sont à sa recherche afin de la capturer.

 

Elisabeth se dégage de son trou. Elle se déplace, féline. A pattes de velours elle s'approche de la lumière. Un tout jeune garçon comme paralysé de peur la regarde, elle le fixe de son étrange regard turquoise. "Ne bouge pas, ne crie pas", pense-t-elle. Le gamin porte une main à son front et reste là sans bouger tel une statue. Elle le touche précautionneusement de sa patte avant droite. Il reste figé, il est vivant mais ses yeux sont révulsés et il respire très lentement. Il est dur comme de la pierre. Elle a un don, ses yeux, son regard est une arme. Elle dépasse le petit Billy qui reprend vie peu à peu et se met à pleurer.

Deux couloirs plus loin, la chatte Liz aperçoit un groupe de policiers lui foncer dessus. Elle les fixe du regard et s'imagine des belles grosses souris géantes et succulentes. Et voilà que sous les uniformes s'agitent quatre rongeurs ahuris. Liz n'écoutant que sa faim s'élance vers les souris qui s'enfuient en tous sens. La chatte subtile et adroite en a attrapé une avec qui elle joue entre ses pattes. Elle approche ses crocs vers la malheureuse qui n'en mène pas large. Et, au moment où elle allait croquer sa proie, elle ressent une douleur dans la nuque.

 

Quelque chose l'agrippe, la secoue. 

-Madame, Madame, réveillez-vous. Votre train va partir!

Elisabeth, la tête écrasée sur son livre, se réveille. Il est temps qu'elle reprenne son service et se dirige vers son deuxième train de la journée.

-Oh, merci beaucoup, lance-t-elle à la serveuse.

Elle range son livre dans son sac. Songeuse, le sourire au bord des lèvres, elle prend ses affaires et se dirige vers le quai numéro dix.

Elle reprend ses esprits et son service.

Prochaine étape, Liège.

 


21/12/2021
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